03/08/2009

l'exception à la règle















il y a quelques semaines, je me suis rendu compte que j’avais commencé à coucher avec des garçons en 89. j’avais 16 ans. j’en ai 36. ça fait donc 20 ans que je suis officiellement pédé. c’est une date anniversaire. 20 ans à coucher avec des amants, maris, garçons de passage rencontrés dans la rue, dans les saunas, dans les bars. c’est long 20 ans.

puis en 94, j’ai rejoint Act Up. car le sida me faisait flipper. Act Up m’a aidé à rester séroneg. je m’y suis fait des amis. je les ai vu d’abord sans traitement. puis à force de combats, les traitements sont arrivés, les tri-thérapies ont déboulé dans leurs vies. ça a changé beaucoup de choses. enfin un autre horizon que celui de la mort trop proche. mes amis qui sont encore en vie vont mieux, c’est sûr. mais derrière ce mieux-aller, il y a encore tous les soucis du quotidien, les effets secondaires des traitements, les problèmes cardiaques, les suivis réguliers dans les hostos and so on.

moi qui suis hypocondriaque, je ne pourrais pas. je ne pourrais pas prendre tous ces traitements. rien qu’à l’idée de savoir qu’ils pourraient me foutre la chiasse ou des problèmes cardiaques.

donc, voilà 20 ans que je suis séroneg. 20 ans à me protéger. 20 ans à dire autour de moi qu’il faut continuer à baiser avec capotes. ces derniers temps quand je parle de sexe avec les copains ou des connaissances, je passe pour la ringarde et la chieuse de service. parce que je dis que je suce avec capotes. quoi? mais plus personne ne fait ça. on me rit au nez. et ce n’est pas que la tapette moyenne (dont l’engagement principal est d’aller faire du shopping pour sortir le week- end prochain) qui me dit ça. ce sont aussi certains de mes amis militants engagés depuis des années dans la lutte contre le sida, à Act Up ou ailleurs. vraiment, je suis total ringard!

bon an, mal an. je continue à le dire.

puis, j’ai cet ami qui, il y a quelques jours, me dit : je ne suis plus avec mon mec.
ce dernier a décidé d’en finir. mon ami habite dans la région parisienne. son ex à Brest, faisant des aller-retours entre Brest et Paris. assez dur d’avoir une vie de couple aussi éloignés l’un de l’autre. donc, chacun vivait de son côté et se voyait régulièrement. parce qu’au pieu, c’était vraiment très bien.
et cet ami, un vrai queutard, me dit que depuis 2 ans, il baisait sans capotes avec son mec :
- j’ai vraiment confiance en M, tu comprends arlindo? c’est un mec réglo. on est tous les deux séroneg.
- pardon? tu as confiance? c’est quoi la confiance quand on suce sans capotes comme tu le fais? quand est-ce que tu t’es fait dépister? t’es sûr d'être séroneg?

et là, je m’énerve. je m’emballe. je deviens hystérique safe sex queen jusqu’au bout des ongles. et je deviens le donneur de leçon. forcément.

et puis, il y a ce gars, qui défendait Dustan, un séropo barebacker honteuse qui vient d’être plombé au VHC. retour de manivelle dans la gueule! wellcome Interferon!!

et encore ces mecs qui, à l’heure de l’happy hour, encore sobres, ne se parlent pas trop, n’osent pas aller vers l’autre. et qui 7 heures plus tard, remplis de bières, à moitié défoncés, se jettent sur la première bite venue dans l’obscurité d’une backroom sale avant de rentrer chez eux, seuls.

ben ouais, je flippe les gars. je continue de flipper. moi, qui, quand je dis à un copain à Act Up que j’ai couché avec un séropo et qu’on a pas mal échangé nos salives, me rit au nez, gentiment.
pourtant, j’ai les infos. mais l’angoisse est là. toujours présente. parce que normalement, il n’y a pas de risque. c’est le normalement qui me fait peur. ce “normalement” qui, en négatif, induit l’exception à la règle. je ne veux pas être cet exception. 20 ans d’angoisses, c’est long.

la morue barbue